Avant même de parler de plats, parlons de ce qui les accompagne, de ce qui rassemble et détend, de ce qui marque la fête, le deuil, la rencontre ou la palabre : les boissons artisanales togolaises.
Elles sont à la fois boissons du peuple et patrimoine culturel vivant. Derrière chaque gorgée de tchakpalo, chaque flamme de sodabi, chaque bouteille d’eau de maïs ou de jus de tamarin, se cache une histoire — celle d’un savoir-faire transmis dans les villages, dans les cours familiales, souvent à l’abri des regards.
Ces breuvages ne sont pas seulement faits pour étancher la soif : ils racontent le lien entre l’homme, la terre et la tradition.
Alors, levons le calebasse : bienvenue dans le monde enivrant des boissons artisanales togolaises.
L’art de boire au Togo : un héritage social et symbolique
Boire, au Togo, c’est un acte social. Qu’il s’agisse d’eau, de bière de mil ou de sodabi, le geste est toujours collectif.
Le calebasse circule, la bouteille passe de main en main : refuser de boire, c’est parfois refuser de participer.
Dans les villages, offrir à boire, c’est souhaiter la bienvenue, honorer l’invité ou sceller une entente.
Certaines boissons sont même sacrées : elles interviennent dans les cérémonies traditionnelles, les libations, les offrandes aux ancêtres.
Chaque gorgée raconte donc une histoire : celle du terroir, du climat, de la communauté et des rites.
Le tchakpalo, la bière de mil au goût d’authenticité
Un savoir-faire ancestral
Le tchakpalo est sans doute une des boissons traditionnelles les plus emblématique du Togo. Fabriqué à base de mil ou de sorgho fermenté, il est brassé artisanalement depuis des siècles.
Dans le nord du pays, il accompagne les moments de fête, les mariages, les funérailles ou les travaux collectifs.
La fabrication suit un rituel précis :
Le mil est trempé et laissé à fermenter.
On le moud, puis on le cuit pour obtenir une sorte de bouillie.
On laisse reposer la boisson dans des calebasses couvertes, parfois toute une nuit, afin que la fermentation développe ses arômes naturels.
Le résultat : une boisson légèrement pétillante, douce-amère, nourrissante et rafraîchissante.
Une boisson du peuple
Le tchakpalo n’a rien de sophistiqué, mais il a une âme.
Dans les villages, il se boit dans de grandes calebasses partagées, souvent accompagnées de conversations animées.
À Lomé, il s’est modernisé : on le trouve parfois embouteillé ou servi dans des verres au bord des rues.
“Le tchakpalo, c’est notre bière à nous, celle qui vient du sol et du cœur”, disent souvent les anciens.
Une richesse nutritive
En plus d’être une boisson de plaisir, le tchakpalo est aussi riche en vitamines B et en fibres. Il soutient l’énergie lors des travaux agricoles et favorise la digestion.
C’est, en quelque sorte, le premier “smoothie énergétique” africain.
Le sodabi, l’eau-de-vie
Une distillation de caractère
Le sodabi est la fierté des côtes togolaises. Issu de la sève du palmier à vin (appelée “sodabi” en éwé et mina), il est distillé artisanalement pour obtenir une liqueur forte, transparente et parfumée.
Le processus est fascinant :
- On incise le tronc du palmier pour en recueillir la sève sucrée.
- Cette sève fermente naturellement en quelques heures.
- Elle est ensuite distillée pour produire une eau-de-vie titrant parfois entre 30 et 50 degrés !
Le résultat : une boisson ardente, aux notes fruitées et fumées, que l’on boit pure, mélangée à des herbes médicinales ou utilisée dans des préparations rituelles.
Boisson des hommes, boisson des dieux
Le sodabi occupe une place singulière dans la culture togolaise.
- Chez les anciens, il symbolise la force et la virilité.
- Dans les cérémonies, il sert à honorer les esprits et à purifier les lieux.
- Dans les quartiers populaires, il accompagne les moments de convivialité, les discussions du soir, les chants et les rires.
“Un peu de sodabi pour parler vrai”, dit-on souvent, comme pour rappeler que cette boisson délie la langue et ouvre le cœur.
Le sodabi moderne
Aujourd’hui, le sodabi connaît une renaissance artisanale et gastronomique.
Des producteurs locaux embouteillent la boisson sous des marques contrôlées, la distillent avec soin et la proposent dans des versions parfumées (gingembre, citronnelle, écorce amère, anis…).
Certains bars à Lomé et à Paris en font même des cocktails fusion !
Ainsi, ce qui était autrefois considéré comme une boisson rustique devient un produit de terroir haut de gamme.
Les autres boissons artisanales : diversité et créativité togolaise
Le “bissap” ou jus d’hibiscus
Rafraîchissant, acidulé et d’un rouge profond, le bissap est obtenu à partir des fleurs d’hibiscus séchées.
C’est la boisson des jours de chaleur, celle qu’on sert aux invités ou qu’on vend au bord des routes dans des bouteilles recyclées.
On y ajoute parfois du sucre, du gingembre, de la menthe ou du clou de girofle pour relever le goût.
Outre sa saveur exquise, le bissap est riche en vitamine C et antioxydants. C’est le “vin rouge africain”, mais sans alcool.
Le jus de tamarin
Moins sucré, plus acidulé, le tamarin donne une boisson brune, légèrement épaisse, très prisée pour ses vertus digestives.
Son goût complexe séduit les amateurs de sensations fortes : doux au départ, puis acidulé, puis presque salé.
L’eau de maïs
Très populaire dans les campagnes, cette boisson se prépare en laissant fermenter légèrement du maïs concassé.
Elle se boit fraîche, souvent au petit matin. Riche en amidon et en probiotiques, elle nourrit autant qu’elle désaltère.
C’est la boisson du travailleur, celle qui donne de la force avant d’aller au champ.
Les boissons au gingembre (“gingembre”)
Dans les rues de Lomé, impossible de manquer les vendeuses de jus de gingembre.
Piquant, citronné, revigorant, ce breuvage est devenu une star locale.
Souvent servi glacé, il est réputé pour “réveiller le corps et le moral”.
Certains y ajoutent du miel, du citron, voire un peu de sodabi pour les plus audacieux…
Tradition, économie et identité
Les boissons artisanales ne sont pas qu’un plaisir : elles constituent un secteur économique vivant.
Des milliers de femmes produisent, vendent et distribuent tchakpalo, jus, gingembre et sodabi.
Ces micro-activités sont essentielles dans l’économie informelle togolaise.
Certaines coopératives commencent même à structurer la production, avec des normes d’hygiène et des emballages modernes.
À Kpalimé, à Sokodé, à Tsévié, des jeunes entrepreneurs transforment les boissons traditionnelles en produits exportables : bissap en bouteille, sodabi premium, jus de gingembre bio.
Cette modernisation contribue à valoriser le savoir-faire local et à faire rayonner le Togo au-delà de ses frontières.
Boire le Togo : un voyage sensoriel et identitaire
Goûter une boisson togolaise, c’est plus qu’une expérience gustative : c’est entrer dans une histoire, toucher à une culture vivante.
- Le tchakpalo évoque la solidarité et la simplicité des villages.
- Le sodabi symbolise la force, la fête et le sacré.
- Le bissap et le gingembre rappellent la créativité et la douceur urbaine.
Chaque boisson est une métaphore du pays :
→ douce comme l’hospitalité togolaise,
→ forte comme la détermination de son peuple,
→ colorée comme ses marchés.
Les boissons artisanales togolaises sont bien plus qu’un patrimoine culinaire : elles sont l’expression liquide de l’âme du Togo.
Entre tradition et modernité, elles traversent le temps sans perdre leur authenticité.
Du tchakpalo servi dans un calebasse au sodabi distillé avec fierté, du bissap des vendeuses de rue au jus de gingembre du matin, ces breuvages incarnent la diversité, la chaleur et la créativité d’un peuple.
Boire togolais, c’est célébrer la vie, le lien, la nature et la mémoire.
Et, comme on dit souvent au village :
“Un Togo sans ses boissons, c’est un repas sans rire.” 🍻




