Le taro fait partie de ces aliments qu’on connaît souvent sans les nommer. Dans les villages du sud et des plateaux, il se trouve au cœur des repas familiaux, souvent confondu avec l’igname ou le manioc. Et pourtant, ce tubercule au goût légèrement sucré et à la texture crémeuse possède une identité bien à lui.
Cultivé depuis des siècles dans les zones humides du Togo notamment autour de Kpalimé, Badou et Agou, le taro est une racine nourricière et symbolique. Il est lié à la terre, au travail patient des cultivateurs, et à la cuisine du foyer.
Dans la mémoire collective togolaise, il évoque la montagne, la pluie, la patience et le partage.
Un produit du terroir aux multiples visages
Le taro est reconnaissable à sa peau brune et rugueuse, et à sa chair blanche ou légèrement violacée.
Lorsqu’on le coupe, il dégage une odeur terreuse, presque boisée. À la cuisson, il devient tendre, légèrement collant, et développe un goût doux et subtil entre la pomme de terre et la châtaigne.
Au Togo, il existe plusieurs variétés selon les régions.
Certaines sont plus farineuses (idéales pour les purées), d’autres plus fermes (parfaites pour les grillades ou la friture).
Les Togolais l’apprécient justement pour cette polyvalence : le taro se prête à mille usages, du petit-déjeuner au dîner.
Les multiples façons de cuisiner le taro au Togo
1. Le taro bouilli, la forme la plus simple et la plus populaire
Dans les campagnes, on le prépare souvent bouilli à l’eau salée, servi avec une sauce rouge ou du piment frais.
C’est un plat humble mais rassasiant, souvent consommé après le marché ou les travaux des champs.
Certains ajoutent un peu d’huile de palme ou de l’oignon sauté pour sublimer son goût naturel.
2. Le taro pilé, cousin méconnu du fufu
Dans certaines zones montagneuses, on pile le taro cuit pour obtenir une pâte ferme et élastique.
Servi avec une sauce arachide, une sauce graine ou un gboma dessi, le taro pilé est un véritable repas de fête.
Son goût unique, légèrement sucré et terreux, apporte une touche différente du fufu classique à base d’igname.
3. Le taro frit : la gourmandise du matin
Coupé en tranches et frit dans l’huile de palme, le taro devient croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur.
Il se mange souvent au petit matin, accompagné d’un peu de piment ou de haricot.
Dans les marchés de Kpalimé ou d’Atakpamé, cette version fait partie des en-cas les plus appréciés des voyageurs.
4. Les purées de taro
Pour les enfants ou les personnes âgées, le taro se transforme en bouillie douce, parfois enrichie de lait, de sucre ou de coco râpé.
Cette version délicate, très nutritive, rappelle à quel point le taro est un aliment de soin et de réconfort.
Le taro dans les repas de fête et de tradition
Dans plusieurs communautés, notamment dans la région des Plateaux, le taro fait partie des plats de célébration.
Pendant les mariages, les fêtes de moisson ou les cérémonies religieuses, il symbolise l’abondance et la fertilité.
Certaines familles le cuisinent avec du poisson fumé ou des légumes des champs pour en faire un plat complet et festif.
Sa texture dense et nourrissante en fait un choix idéal pour les grandes tablées où le partage est essentiel.
Un aliment sain et durable
Au-delà de son goût, le taro possède une vraie valeur nutritionnelle. Riche en fibres, en potassium et en vitamines, il est digeste et rassasiant.
Contrairement à certains tubercules, il contient très peu de matières grasses et libère lentement son énergie, parfait pour les longues journées de travail ou les repas équilibrés.
De plus, sa culture est respectueuse de la nature. Le taro pousse facilement, sans engrais chimiques, dans les zones humides ou en terrasses. Il s’intègre bien dans une agriculture vivrière durable, ce qui en fait un produit d’avenir pour une alimentation locale et écoresponsable.
Le taro dans la gastronomie moderne togolaise
Depuis quelques années, le taro quitte peu à peu les seules cuisines rurales pour entrer dans les restaurants urbains et gastronomiques.
Des chefs à Lomé ou Kpalimé s’en inspirent pour créer des recettes contemporaines :
- purée de taro au lait de coco,
- chips de taro servies en accompagnement de poisson,
- croquettes de taro farcies au poulet,
- ou encore desserts à base de taro râpé et caramélisé.
Ce renouveau prouve que le taro n’est pas un aliment “du passé” : c’est un ingrédient du futur, à la fois traditionnel, sain et adaptable.
Le taro et la culture culinaire togolaise
Le taro est aussi un symbole visuel. Dans les marchés, ses formes irrégulières et sa couleur brune rappellent le lien direct entre l’homme et la terre.
Pour beaucoup de familles togolaises, le moment où on épluche le taro ensemble autour du feu est un rituel de complicité et de transmission.
Les gestes se répètent, les conversations se déroulent, les enfants apprennent — la cuisine devient un lien entre générations.
Et dans le discours culinaire moderne du Togo, cette symbolique prend encore plus de sens : revenir au taro, c’est revenir à soi, à nos racines, à notre nature.
Le taro, ambassadeur d’une gastronomie authentique
Alors que la cuisine togolaise commence à se faire connaître dans les restaurants d’Afrique et d’ailleurs, le taro pourrait bien devenir l’un de ses ambassadeurs les plus discrets mais les plus puissants.
Il incarne tout ce que la gastronomie togolaise représente :
- la simplicité,
- la générosité,
- le respect de la terre,
- et la créativité dans la tradition.
Servi dans une feuille de bananier, dans une assiette moderne ou sur une table de fête, il garde le même message :
le goût du vrai, le goût du Togo.
Dans un monde où tout va vite, le taro nous invite à ralentir. À sentir la terre, à écouter les histoires des anciens, à cuisiner sans artifice. Il n’est pas le tubercule le plus connu du pays, mais il en est l’un des plus sincères.
Et si demain, au lieu de chercher l’exotisme ailleurs, on regardait simplement dans nos champs, dans nos marmites et dans nos souvenirs ?
Car parfois, le trésor est là, juste sous nos pieds — sous forme d’un taro fraîchement sorti de la terre togolaise.




