Au Togo, parler de gastronomie sans évoquer l’igname serait comme parler de la mer sans mentionner les vagues. Présente dans les champs, sur les marchés, dans les foyers et au cœur des grandes célébrations, l’igname n’est pas qu’un aliment : c’est une fierté nationale. Elle incarne à la fois la richesse de la terre togolaise, la patience du cultivateur et le lien social autour du repas.
Du nord au sud, ce tubercule nourrit les corps, mais aussi les imaginaires. Dans les villages, on dit souvent que “l’igname unit les hommes”, car elle rassemble autour du feu, des traditions et du partage.
Dans cet article, Saveurs du Togo vous invite à (re)découvrir la place centrale de l’igname dans la cuisine togolaise, sa symbolique, ses modes de préparation et les fêtes qui lui sont dédiées.
Une racine nourricière profondément ancrée dans la terre togolaise
Une culture ancienne et respectée
L’igname (genre Dioscorea) est cultivée depuis des siècles en Afrique de l’Ouest. Le Togo, situé dans ce qu’on appelle la “ceinture de l’igname”, partage avec le Bénin, le Ghana et le Nigeria une tradition agricole fondée sur ce tubercule.
Dans les régions du Plateau et des Savanes, les champs d’ignames dessinent le paysage au rythme des saisons. Le travail y est dur, mais noble : chaque butte de terre cache une promesse d’abondance.
Les paysans la cultivent avec un profond respect pour la nature. Les semences sont souvent sélectionnées à la main, conservées précieusement d’une année sur l’autre. La récolte, elle, se fait sous des chants, des rires et parfois des rituels pour remercier la terre.
Symbole de fertilité et de prospérité
L’igname n’est pas qu’un aliment : c’est un symbole de vie.
Dans la culture togolaise, offrir de l’igname à un invité, c’est lui souhaiter santé et prospérité.
Lors des cérémonies de mariage ou de funérailles, les plats à base d’igname sont omniprésents, car ils traduisent le respect, la continuité et la mémoire.
Une racine nourricière profondément ancrée dans la terre togolaise
Le foufou d’igname : roi des plats du dimanche
S’il est un plat qui fait battre le cœur du Togo chaque week-end, c’est bien le foufou d’igname.
Préparé à partir d’igname bouillie et pilée dans un grand mortier, il est le symbole du repas de famille. Le bruit du pilon qui résonne dans la cour signale souvent que la fête commence.
- Le foufou s’accompagne d’une multitude de sauces :
- Sauce graine (à base de noix de palme),
- Sauce d’arachide crémeuse et parfumée,
- Sauce claire et savoureuse,
- ou encore sauce tomate relevée au poisson fumé.
Chaque cuillère évoque une région, un souvenir, un partage.
D’autres formes tout aussi délicieuses
L’igname se prête à mille déclinaisons :
- Igname frite : croustillante à l’extérieur, fondante à l’intérieur.
- Igname bouillie servie avec une sauce piquante et du poisson grillé.
- Ragoût d’igname (appelée Téba) morceaux d’igname fondants plongent dans une sauce tomate onctueuse.
Chaque préparation révèle une facette différente de ce tubercule à la texture généreuse et au goût doux, parfois terreux, toujours réconfortant.
La fête de l’igname : entre coutume, spiritualité et modernité
Un moment de reconnaissance envers la terre
La fête des ignames, célébrée chaque année dans le nord et le centre du pays (notamment à Bassar et à Sokodé), marque la fin de la saison des pluies et le début de la récolte.
Elle symbolise la gratitude envers les ancêtres et les divinités pour les bonnes récoltes.
Avant cette fête, il est interdit de consommer la nouvelle igname : il faut attendre que les prêtres traditionnels donnent leur bénédiction. Ce rituel rappelle que manger, au Togo, n’est jamais un acte banal : c’est une communion avec la nature et avec les ancêtres.
Un événement festif et identitaire
Pendant plusieurs jours, les villages se parent de couleurs.
Les danses, les chants, les repas collectifs et les prières rythment la célébration. Les familles se retrouvent autour des grands plats de foufou et des sauces traditionnelles.
Aujourd’hui, la fête de l’igname attire aussi des touristes, des chercheurs et des passionnés de culture africaine, venus découvrir cette expérience unique où la gastronomie devient patrimoine vivant.
L’igname, un lien entre générations et régions
Une transmission culinaire
De la grand-mère au petit-fils, la préparation de l’igname se transmet par le geste.
Le pilon, le mortier, la cuisson à feu de bois : tout un savoir-faire qui relie les générations.
Même à Lomé ou à l’étranger, les familles togolaises continuent de reproduire ces gestes, preuve que l’igname est un lien affectif autant qu’un plat.
Une diversité régionale
- Dans le nord : on prépare du couscous d’igname (Wassa Wassa).
- Au centre (région des Plateaux) : le foufou règne en maître, accompagné de sauces riches.
- Dans le sud : l’igname s’intègre à des plats plus modernes, parfois fusionnés avec des influences européennes ou ghanéennes.
Cette variété reflète l’âme même du Togo : un petit pays aux mille goûts.
L’igname et la santé : un aliment complet
Riche en glucides complexes, en fibres et en vitamines B6 et C, l’igname est énergétique mais digeste.
Elle contribue à la satiété sans être lourde, et sa teneur en amidon résistant en fait un bon allié pour la flore intestinale.
C’est aussi un aliment naturellement sans gluten, donc adapté aux régimes modernes, tout en restant profondément traditionnel.
De plus en plus de chefs togolais réinventent l’igname en purée, en chips ou même en dessert — preuve que ce tubercule a encore de belles années devant lui.
L’igname à l’international : ambassadeur discret du Togo
Avec la montée en popularité de la cuisine africaine dans les restaurants du monde, l’igname commence à se faire connaître à l’étranger.
À Paris, Bruxelles, Montréal ou New York, certains chefs africains utilisent l’igname dans des plats modernes croquettes, gratins ou gnocchis revisités tout en gardant la mémoire du foufou traditionnel.
L’igname devient ainsi un pont culturel entre l’Afrique et le reste du monde, entre tradition et innovation.
Reine des champs, reine des marmites, l’igname incarne mieux que tout autre aliment l’esprit de la cuisine togolaise :
la patience, le partage, la simplicité et la richesse des saveurs.
De la terre au feu, du geste à la fête, elle raconte l’histoire d’un peuple attaché à sa terre et à ses traditions.
Et tant que les pilons résonneront dans les villages, l’igname restera la reine incontestée des tables togolaises.




